«Nous avons su semer et récolter»
Magazine Immobilier Commercial
par : Nathalie Savaria, Volume 8 | Numéro 5 | Octobre – Novembre
Qui connaît véritablement Eddy Savoie? Sous le feu des projecteurs, le président fondateur du Groupe Savoie – Les Résidences Soleil n’en poursuit pas moins sa route, guidé par des valeurs avec lesquelles il dit avoir bâti sa vie comme son empire immobilier. Voici le parcours fascinant de cet homme, tel qui l’a raconté lors d’un long entretien avec le magazine Immobilier commercial.
La famille est au cœur du projet d’entreprise et de la vie de cet homme, qu’on le sait maintenant détenteur d’une fortune évaluée à près 1,5 G$, dont quelque 1,3 G$ sont constitués d’actifs immobiliers.
Trois générations se côtoient au sein de l’entreprise familiale. En plus de sa femme et lui-même, Eddy Savoie est entouré de ses cinq enfants, Nataly, présidente exécutive – opération, Eddy Junior, président exécutif – construction, Nadine-Coïne, Nancy et Janet, membres de la direction et du conseil d’administration. « S’il y a un projet, quelque chose à faire le samedi ou le dimanche, le soir ou la nuit, je peux toujours compter sur mes enfants. Je n’ai même pas besoin de leur demander. Pour eux, c’est naturel. » Certains de ses 13 petits-enfants sont déjà actifs dans l’entreprise. Bref, la relève est assurée.
Dévoué à sa famille, Eddy Savoie l’est aussi à sa contrée d’origine. Dans son village natal de Kedgwick, il soutient le Camp Canak, un centre de répit et d’hébergement, mais aussi des projets d’affaires. Pendant l’entrevue, il nous montre des échantillons d’un produit novateur à base de tremble et finance dans ce but le lancement d’une usine qui le fabriquera, au Nouveau-Brunswick.
Outre à sa famille, Eddy Savoie doit également sa réussite à son optimiste et à sa confiance en la vie. « Si j’ai confiance en moi, je peux avoir confiance aux autres », dit-il. Le credo de cet homme : « Si tu sèmes le bien, tu récoltes le bien. »
Les débuts
Comme tout véritable self-made-man, Eddy Savoie est parti de rien, c’est-à-dire avec moins de 5 $ en poche pour Montréal, une grande ville qui pouvait offrir à ce jeune homme de 15 ans des perspectives d’avenir prometteuses. Dans ses bagages, il emporte avec lui de solides valeurs inculquées par son père bûcheron et sa mère, qui, en plus d’élever ses huit enfants – dont quatre sont morts en bas âge –, tient un petit magasin général à la maison.
À son arrivée, il déniche un boulot dans une usine avant de travailler comme apprenti. Le soir, il suit diverses formations, car il aspire à plus. Son rêve : devenir entrepreneur. « Vous savez, au Nouveau-Brunswick, une seule personne contrôlait tout : Irving . Je ne voulais pas être à la merci de personne, et le travail ne me faisait pas peur ».
À 21 ans, Eddy Savoie crée sa propre entreprise en mécanique de bâtiment. À la même époque, il fait la rencontre de Carmelle Ouellette, une amie de sa sœur, originaire elle aussi du Nouveau-Brunswick. Après 48 ans de mariage, l’homme parle de sa femme, qui l’a toujours soutenu dans ses projets, comme au premier jour. « C’est mon rayon de soleil et j’ai toujours hâte de rentrer à la maison pour la voir. »
À 28 ans, il lance son entreprise de construction générale qui réalisera au fil du temps des projets immobiliers d’envergure. Il construit entre autres de vastes immeubles locatifs et participe à l’agrandissement de l’hôpital Royal-Victoria et à l’édification de la Maison de la culture Mercier à Montréal.
L’invention d’un concept
C’est l’esprit de famille cher à cet homme qui est à l’origine de l’empire immobilier qu’il a édifié avec Les Résidences Soleil.
Depuis la fin des années 1970, les parents d’Eddy Savoie vivent dans la résidence du couple à Mont-Saint-Hilaire. La santé de son père déclinant au fil de la décennie suivante, l’entrepreneur se résout à installer ses parents dans une résidence pour aînés. Sa famille et lui partent alors en quête d’une résidence confortable et sécuritaire, offrant tous les services, les activités et les soins nécessaires, mais ils n’en trouvent pas.
L’idée de créer une résidence commence à germer dans la tête d’Eddy Savoie qui multiplie les voyages en Europe dans l’espoir d’y découvrir des idées novatrices, mais sans succès. Convaincu qu’il existe au Québec un marché pour un concept de résidence qui allie qualité de vie et sécurité tout en bannissant la notion de mouroir, il passe en mode action.
Monsieur Soleil
L’entrepreneur achète un terrain à Boucherville et finance la construction de sa première résidence grâce à la vente de deux grands immeubles locatifs, Terrasses Villeneuve et Place Nobert, à Longueuil.
Les Résidences Soleil Manoir Boucherville, première Résidences Soleil construite au coût d’une dizaine de millions de dollars, est inauguré en novembre 1988. Eddy Savoie reconnaît que son lancement a été difficile. « Le concept n’était pas connu et ne faisait pas partie de la mentalité des gens. Heureusement, nous continuions alors à faire d’autres projets de construction et nous pouvions combler le manque à gagner. » Deux ans et demi après l’ouverture de la résidence, le taux d’occupation atteint enfin les 95 %.
Eddy Savoie prend alors la décision d’étendre son modèle de résidence pour aînés dans différentes villes du Québec en misant sur le volume. La croissance des résidences sera favorisée par sa présence dans les médias, notamment dans des émissions de télé comme Y’a plein d’soleil, et des campagnes publicitaires qui lui valent le surnom de Monsieur Soleil.
À la fois bâtisseur, propriétaire et gestionnaire, le Groupe Savoie opère aujourd’hui 14 résidences. Il emploie plus de 2 000 personnes, en incluant celles qui travaillent dans l’entreprise de construction. Premier critère d’embauche dans ses résidences : « aimer les gens du bel âge », précise Eddy Savoie.
L’accessibilité à tous
Dans les corridors des Résidences Soleil Manoir Boucherville où se trouve le siège social du Groupe, Eddy Savoie salue chacun des résidents que nous croisons et s’adresse à eux par leur nom. « Il y a encore peu de temps, j’assistais à toutes les fêtes organisées pour souligner les anniversaires du mois dans chacune des résidences. » Dans chaque résidence, un comité des résidents, élu lors de l’assemblée générale annuelle, organise des activités, en collaboration avec la direction. Lors de cette assemblée, parents et résidents peuvent également faire part de leurs doléances. « Nous sommes toujours ouverts aux critiques constructives », affirme M. Savoie.
Conscient de la précarité financière de plusieurs aînés, Eddy Savoie en a fait une cause. « Moi, j’ai connu ça, être pauvre », dit-il au cours de l’entrevue. Au début des années 2000, il mène un combat, en collaboration avec l’Association des résidences pour retraités du Québec (aujourd’hui le Regroupement québécois des résidences pour aînés), qui se conclut par la mise en place d’un crédit d’impôt provincial de 23 % favorisant le maintien à domicile des personnes de 70 ans et plus, riches ou pauvres. « Dans nos résidences, 33 % des gens reçoivent une allocation-logement, ce qui signifie qu’ils ont un revenu de moins de 16 000 $ par année », rapporte M. Savoie. Avec ces crédits, les résidents peuvent ainsi se permettre de loger dans un 1 1/2 ou un 2 1/2 qui composent entre 25 et 30 % des appartements de chaque résidence.
Au total, plus de 7 000 personnes, dont la moyenne d’âge oscille autour de 83 ans, habitent Les Résidences Soleil. Dix-neuf des 52 centenaires bénéficient du programme Privilège Soleil qui offre gratuitement le logement au résident qui a atteint 100 ans et qui occupe son appartement depuis au moins 10 ans. De plus, un résident qui loge dans le même appartement depuis au moins 10 ans ne reçoit plus d’augmentation de loyer lorsqu’il souffle ses 90 bougies.
Dans la tourmente
Le succès et les nombreuses causes qu’il soutient n’ont pas empêché Eddy Savoie de se retrouver au cœur de la controverse.
Ses démêlés judiciaires avec la fille d’une ex-résidente du CHSLD Saint-Lambert-sur-le-Golf – premier projet du genre réalisé en partenariat public-privé (PPP) entre l’État et le Groupe Savoie à qui il a été attribué –, ont fait grand bruit. Choqué par les propos de la dame qui prétendait qu’il aurait lui-même, en plein épisode de gastro, demandé aux employés du quart de nuit d’arrêter de changer les couches, Eddy Savoie intente une poursuite de 400 000 $. Déclarée abusive, la cause est rejetée et qualifiée de poursuite-bâillon. Poursuivi à son tour et forcé de dévoiler ses actifs, l’homme est condamné à verser la somme de 310 000 $ à la plaignante. Pour lui, la cause est entendue : « On a voulu créer le plus de problèmes possible pour faire fermer le centre et décourager la mise en place de PPP. »
Pourtant, plaide M. Savoie, la formule en PPP permet, selon une étude du gouvernement québécois, de réaliser des économies de 100 M$ sur une période de 25 ans. Or, ce sont ces économies, entre autres sur le plan salarial, qui ont été reprochées aux dirigeants du CHSLD. « C’est vrai, nos salaires sont moins élevés que dans le public, concède-t-il. Cependant, on ne manque pas de personnel. Les gens qui entrent à 8 h le matin savent qu’à 4 h ils vont sortir. Chez nous, tous nos employés bénéficient d’un repas par jour, le stationnement est gratuit et nos équipements sont à la fine pointe. »
L’achat puis la revente de l’hôtel Loews Le Concorde ont aussi plongé le magnat dans la controverse.
Désireux d’implanter une Résidences Soleil à Québec, le Groupe Savoie a fait l’acquisition de l’hôtel en mars 2014 au coût de 11 M$. « Dès l’annonce de notre projet, nous avons reçu des appels et des gens ont même envoyé des chèques pour réserver leur place », soutient M. Savoie. Le projet se heurte toutefois à une opposition farouche, notamment celle du maire Labeaume, dont l’administration adopte une résolution pour empêcher le changement de vocation hôtelière. Le Groupe Savoie décide de revendre l’hôtel. Or, lorsqu’un premier groupe d’acheteurs tente de se porter acquéreur de l’immeuble, le maire associe l’un de ses membres à la Mafia et tient des propos peu élogieux à l’endroit d’Eddy Savoie qu’il qualifie de « dangereux ». Le groupe d’acheteurs, qui perd son financement, se retire. L’hôtel sera vendu à un second groupe. « Nous avons tout de même fait un profit de quelques millions », mentionne M. Savoie.
Lorsqu’on lui demande s’il compte toujours s’installer à Québec, M. Savoie répond : « Certainement, mais lorsque le maire Labeaume sera parti. » Il a renoncé à poursuivre ce dernier pour diffamation parce que c’est la population qui aurait hérité de la facture. Au sujet des allégations du maire sur le premier groupe d’acheteurs, il est catégorique : il n’a rien à voir avec la Mafia.
Il ne portera pas non plus sa cause en Cour suprême dans la saga judiciaire entourant le CHSLD. Malgré tous ses ennuis, il se dit prêt à répéter l’expérience de la formule en PPP si l’occasion se présentait. « C’est important d’aider notre gouvernement et la population. »
Selon lui, ces deux épisodes pénibles pour sa famille et lui-même n’ont nui ni à sa réputation ni à ses activités philanthropiques. « J’ai toujours autant de demandes qu’avant pour des présidences d’honneur et cela n’a rien dérangé avec les gens qui habitent dans Les Résidences Soleil. » Un brin philosophe, il conclut : « Quand tu fais des affaires, tu t’exposes à ce genre de choses. »
Un empire au Soleil
Et la marche en avant du Groupe Savoie se poursuit.
À Montréal, Les Résidences Soleil Manoir Plaza, situé rue Sherbrooke, angle Berri, a ouvert ses portes l’an dernier. L’ancien hôtel de 26 étages, acheté au prix de 27 M$, a subi un important travail de reconversion. À l’heure actuelle, « le taux d’occupation est de 89 % », se réjouit Eddy Savoie.
À quelques kilomètres de là, près du stade Olympique, le Groupe vient d’acquérir le restaurant Jardin Tiki pour la somme de 5,8 M$. « Un courtier m’a approché et m’a fait savoir qu’il y avait des possibilités que le restaurant soit à vendre », révèle M. Savoie. Le bâtiment sera rasé afin de laisser place à un complexe de 500 unités, un projet de 75 M$ d’ici 2017 si tout se déroule comme prévu.
Par ailleurs, le Groupe Savoie lorgne d’autres marchés que le Québec.
L’expansion se fera d’abord à Orléans, une banlieue francophone d’Ottawa, où le Groupe projette de construire un complexe de 550 à 600 appartements. « Nous avons acheté un terrain de plus de 2 millions de pieds carrés et nous sommes en demande d’un changement de zonage. » Selon l’homme d’affaires, le marché ontarien compte peu de grandes résidences pour aînés et le prix des appartements serait très élevé.
Le Groupe Savoie cible également le marché américain. « Nous cherchons des hôtels en Floride. Là-bas, le marché n’est pas développé et ce qu’il y a est tellement cher », commente le président fondateur.
L’art de semer et de récolter
Avec une troisième génération déjà à l’œuvre et une 4e génération qui vient de naître, le Groupe Savoie a donc le vent en poupe.
À 71 ans, Eddy Savoie n’envisage pas de prendre sa retraite, car pour lui, son travail n’en est pas un. Victime d’un grave accident de motoneige il y a trois ans et de deux AVC en octobre dernier, il n’en demeure pas moins toujours actif, même s’il admet avoir ralenti un peu la cadence.
Sa société, Choix du Consommateur et reconnue aussi parmi Les Sociétés les mieux gérées au Canada depuis 12 ans, « n’ira jamais en Bourse, car je n’ai pas besoin de capital », indique Eddy Savoie. Et il n’est pas question de vendre non plus. « J’ai reçu des offres d’achat, mais j’ai toujours refusé. Notre entreprise familiale génère des emplois, crée de la richesse et paie des impôts ici. Les gens devraient y penser avant de nous critiquer », déclare l’homme d’affaires.
« On me dit parfois : “Tu as ramassé un empire.” Je ne l’ai pas ramassé. Mathématiquement, il s’est conçu par lui-même. Nous avons su semer et récolter ».